Le vent et la température
Quand on est exposé au vent, notamment l’hiver, on a la sensation que la température est plus basse que s’il n’y en avait pas.
Mais fait-il réellement plus froid quand il y a du vent ?
L’idée qu’un thermomètre "en plein vent" indiquerait une température de l'air plus froide que le même situé à "l’abri du vent", est fausse. On parle de température ressentie (ou mieux, d'Indice de Refroidissement Éolien - I.R.E) afin d’illustrer les conditions subies par un être humain sur une peau nue, sous l’effet combiné de la température et de la vitesse du vent.
Erratum : dans la vidéo ci-dessus, la température ressentie est fréquemment exprimée en degrés (°C). C'est une erreur. La température ressentie correspond à un indice, sans unité (d'où la confusion avec la température de l'air). Explications ci-dessous.
Cette confusion s’explique principalement parce qu'on emploi couramment l’expression de « température sous abri », à juste titre, mais souvent mal interprétée.
Il faut comprendre que sous abri = à l'abri du rayonnement solaire direct et indirect et non à l'abri du vent. Ainsi, cela ne signifie pas que la température de l'air serait différente dans un même espace exposé au vent. L’abri, fait en effet référence à l’abri blanc normalisé utilisé en météorologie pour mesurer la température (exemple ci-dessous : la sonde est placée à l'intérieur de l'abri).
Cet abri est en réalité ouvert par des persiennes afin de bénéficier justement d’une bonne aération. On cherche en fait à ce que l'abri soit exposé au vent, en allant même jusqu'à installation d'une ventilation pour éviter la surchauffe en cas de temps chaud avec un vent nul ou faible. Sa fonction principale est de protéger le capteur du rayonnement solaire afin d’avoir une juste température de l’air. C'est ce que l'on appelle couramment la température à l’ombre, bien qu'une température "au soleil" ne signifie rien (placer un thermomètre en plein soleil, c'est mesurer la température du thermomètre et non de l'air...).
Donc la température sous abri ne veut pas dire la température à l’abri du vent.
Il n'existe pas de température de l'air "en plein vent" et "à l'abri du vent".
Nombre de médias sensationnalistes s’amusent à parler avant tout de ressenti et non de température réelle, et le doute est permis de penser qu'ils jouent sur cette confusion : ça fait quand plus « classe » de dire qu’il fera -10 à Paris en ressenti alors que la température de l'air sera de -1°C, air mis en mouvement par une vive bise de N.E.
La température dite « ressentie » par un être humain est finalement une dénomination maladroite amplifiant la confusion et qu’il vaudrait mieux nommée Indice de Refroidissement Éolien (I.R.E) ou "Windchill" pour la version canadienne originale. Cet indice se calcule en prenant en compte la vitesse du vent (la direction n’a aucune raison d’être prise en compte : un vent de nord peut être responsable d'un redoux par exemple, même si le ressenti est froid) et la température mesurée par un thermomètre sous abri (du rayonnement solaire, on le rappellera).
Il existe un tableau simple d’utilisation pour la déterminer en faisant correspondre les deux données. Pour la formule, c'est par ici.
Par exemple avec un vent à 100 km/h, s’il fait +5°C, le ressenti sera de -3 (pas d'unité). S’il fait -15°C, ce ressenti passe à -32 (pas d'unité).
Au-delà de l’inconfort lié au vent, il existe un réel danger pour les parties du corps non protégées (comme le visage ou les mains). En-dessous de -20 environ de température ressentie, la peau peut geler en 30 minutes. En-dessous de -40, ce temps passe à moins de 10 min. A -50 de ressenti, il ne faut pas plus de 5 minutes pour que la peau gèle. En effet, le vent chasse la pellicule d'air chaud à la surface de notre peau et si la température est négative, le refroidissement peut-être suffisamment intense pour que la peau gèle.
L’hiver dans nos massifs, la température ressentie descend fréquemment à -15/-25 et de manière plus exceptionnelle jusqu’à -50. Les épisodes de vent tempétueux étant fréquents : un vent faible dans les vallées peut cacher des rafales à plus de 100 km/h sur les crêtes.
Ci-dessous, un exemple en vidéo montrant la non-influence directe du vent sur un thermomètre mesurant la température de l'air.
Commentaire de l'observateur :
"A 11h ce matin, on relevait -8,5°C à la station Météovergne installée à 1765 m (thermomètre sous abri blanc normalisé). Pendant ce temps-là, je relevais manuellement -8°C à 1700 m au col de Courre. La mesure n'était pas normalisée mais en l'absence de rayonnement direct, d'un faible rayonnement diffus et du brassage, on pouvait avoir une bonne mesure de la température de l'air.
J'ai effectué cette mesure derrière une paroi rocheuse afin d'être à l'abri du vent (faible ou nul). En revanche, au niveau du col, à environ 10 m de l'endroit abrité du vent, on relevait 90/100 km/h de vent de tendance nord (flux général de N.E), conformément aux prévisions.
J'ai donc placé mon thermomètre en plein vent au niveau du col. Je ressentais un froid mordant sur le visage, et il était très difficile de rester sans gants plus de 10 secondes sans avoir mal aux doigts. Parfois déséquilibré sous de brusques rafales."
Mais c'est bien là où celui qui effectue la mesure est le plus exposé au vent qu'il a le plus froid (de l'air à -8°C souffle fortement sur son corps à +37°C). Pour vous illustrer l'importance de la confusion du grand public, voici ci-dessous les réponses à la question "quelle était la température mesurée par le thermomètre placé en plein vent, à 10 m de l'endroit précédent ?" via un sondage Facebook.
Une majorité a répondu -22°C, alors que c'était évidemment -8°C. C'est l'I.R.E qui était effectivement de -22 (pas d'unité). Notons ici que ce sondage s'est fait auprès de personnes en partie déjà initiées à la météo (échantillon de 905 individus) et qu'on l'on peut supposer que la confusion est en réalité probablement bien supérieure à l'échelle du grand public. De quoi alimenter des conversations interminables, tant que la confusion persiste... !
Certains conscients de cette distinction vous diront que la température ressentie ne sert à rien. Effectivement, dans la plupart des cas, la traduction médiatique ne sert à rien car mal utilisée ou inadaptée à la situation, et il n’y a donc aucun intérêt.
Par contre, en montagne, c’est un très bon outil pour juger de l’exposition au froid attendue lors d’une sortie. Ainsi, même au cours des précédents hivers souvent doux (sauf 2019/2020, exceptionnellement doux : record depuis 1950), on a observé à plusieurs reprises des Indices de Refroidissement Éolien s’abaissant à environ -35 à Chastreix-Sancy ou sur les sommets du Sancy (flux de N.E). Concrètement, cela signifie qu’une peau non protégée pourra geler en 30 min d'exposition environ. En 2012, cet indice approchait -50 sur les sommets du Sancy. Conséquence : sans gants ou avec un visage mal protégé, il fallait 5 minutes environ pour que la peau gèle et cela peut devenir très grave (jusqu’à l’amputation pour les membres).
Près du puy-Ferrand (Météovergne, novembre 2019). Pas la peine d'avoir du froid intense pour connaitre ces impressionnantes formations de givre : il faut un flux d'air rapide et des crêtes dans les nuages avec une température négative. Photo Météovergne.
Il faut ainsi retenir la différenciation : entre « J’AI FROID », moi être humain à sang-chaud et « IL FAIT FROID », mesure possible via un thermomètre qui n’est pas un être vivant. Seule une mesure normalisée de température de l’air apporte une valeur objective et permettant ensuite de faire des comparaisons selon des lieux et des périodes.
On peut très bien avoir froid à l’ombre sous un arbre par +15°C ou tomber en hypothermie sous un orage d’été en montagne. Avoir froid est complètement dépendant de notre physiologie/morphologie/condition physique etc.
Une expression maladroite très révélatrice de cette confusion est « le fond de l’air est frais ». Surtout au printemps : au soleil sans vent, on peut avoir l’impression qu’il fait +20°C. Placez-vous ensuite à l’ombre (avec pourquoi pas une petite brise de 15 km/h) et vous aurez froid. La réalité c’est tout simplement que soleil ou pas, la température de l’air est dans ce cas de +8°C (exemple vécu en RandôMétéo après avoir demandé aux participants qu'elle était selon eux la température actuelle de l'air). Il n'y a donc pas de "fond de l'air" mais tout simplement de l'air frais, que l’on ressent dès qu’il se met en mouvement, via le vent.
Au-delà de toutes ces précautions à avoir en tête quand on manipule température de l'air et ressenti, retenez que l'indice de refroidissement éolien est un très bon outil pour juger des conditions auxquelles vous serez soumis en montagne.
Le vent, quelle que soit sa direction, est donc un facteur refroidissant pour le corps. Il peut aussi être le vecteur d’une baisse de la température de l'air (advection d'air froid) mais aussi d’un réchauffement, ce qui est moins connu et pourtant fréquent.
1. Le vent peut "refroidir" la température sous abri
La température ressentie et la température réelle peuvent baisser conjointement notamment lors du passage d’un front froid qui laisse derrière lui une masse d’air plus froide. Cette baisse est souvent brusque (vent fort à tempétueux en montagne) avec une isotherme 0°C qui dégringole alors que l’arrivée de l’air froid en plaine est plus progressive et moins tranchée.
Exemple d'une invasion d'air froid en altitude (animation de la température vers 1500 m) - source www.meteociel.fr
2. Le vent peut réchauffer la température sous abri
Fréquemment, le vent réchauffe la température de l'air d'un espace, même si le ressenti peut-être frais/froid.
Le vent peut être l’auteur d’un puissant redoux en montagne. L’hiver, par exemple, à l’avant d’une perturbation dynamique, le flux de sud-ouest peut souffler en tempête sur les crêtes, avec une masse d’air doux, proche de +5/+10°C à 1500 m. On pourra avoir alors une température ressentie proche de 0 alors que la température de l'air est largement positive et que le manteau neigeux souffrira nettement de cet air doux et brassé (surtout s'il est humide). On peut dire, pour caricaturer, que le corps humain à +37°C aura froid mais pas la neige à 0°C, subissant de l'air à température positive (fonte rapide).
L'effet de foehn, autre phénomène, qui peut être en lien avec le précédent, va provoquer une hausse des températures et une baisse de l'humidité relative au niveau des versants situés sous le vent (là où il soufflera le plus). C'est fréquemment le cas par flux d'ouest en Limagne ou encore au sud-ouest du Sancy par flux de N.E (il fera alors souvent bien plus doux à Chastreix-Sancy qu'à altitude égale dans la chaine des Puys ou même plus bas à l'est et au nord du Sancy). Ce phénomène s'explique par la compression sous le vent. Les températures relevées peuvent devenir spectaculairement douces ou chaudes.
De plus, les inversions de température, phénomène qui peut impliquer des températures largement positives sur les crêtes et de fortes gelées en contrebas, illustrent parfaitement cette fausse idée que le vent va refroidir un thermomètre. En effet, c’est justement le vent transportant une masse d’air doux qui maintient l’absence de gel en montagne dans cette situation (en plus de la compression anticyclonique généralement observée dans le même temps). Plus bas, dans les vallées, plaines et plateaux abrités, l’absence de vent permet au froid se formant par rayonnement nocturne (ciel clair) de s’accumuler (brises descendantes) et la température est très fluctuante d’un espace à l’autre, en fonction de l’exposition au vent qui, s'il souffle, transporte de l'air doux. Les inversions de températures sont expliquées sur cette page.
3. L’absence de vent permet d'observer les plus froides températures
L’absence de vent lors d’une nuit claire avec un sol enneigé est un facteur très important pour observer les plus basses températures observables. Ainsi, alors qu’on peut observer des températures proches de -20°C lors d’une nuit d’hiver dans les vallées abritées (rayonnement nocturne amplifié par des surfaces enneigées, air froid s’accumulant dans les creux topographiques), on peut très bien avoir -5°C sur les crêtes (inversion) avec une sensation qu’il y fait beaucoup plus froid à cause du vent.
Mouthe, dans le Jura, est une commune bien connue pour son record de température de -36,7°C en janvier 1968. Pourtant Mouthe n'est qu'à 930 m d'altitude. C'est la topographie particulière (combe), la présence de neige au sol, un ciel clair et une masse d'air froid en place qui expliquent cette valeur extrême (sans vent). Météo-France a rédigé cet article très pédagogique à ce sujet.
Pour nos massifs, on peut prendre l'exemple de Chastreix-Sancy (1385 m) : depuis l’installation de la station Météo-France au début des années 1990, le record de froid a été atteint en février 2012 : -19,1°C. Pourtant, cette année-là, à des altitudes proches de 1000 m, on relevait des températures de l'ordre de -25°C dans certains creux (pas de vent, nuit claire, neige au sol) et par exemple -20,2°C à Gelles à cette même période (station Météo-France) pourtant située 600 m plus bas (785 m). Mais c’est pourtant bien « là-haut » que sous l’effet du vent, on risque le plus d’accidents liés au froid et que l’on ressent le plus le froid.
Températures à 6h du matin le 19/01/17 - source : www.infoclimat.fr
Conclusion :
Le froid ou la chaleur sont donc des notions subjectives pour un être humain. La mesure de la température de l’air sous abri normalisé permet d’avoir une vision objective. A noter qu’une forte humidité, des chutes de pluie ou de neige sont aussi des facteurs aggravants de froid ressenti.
Il existe aussi un indice de chaleur ressentie : l’humidex, qui lui prend en compte la température et l'humidité relative. En effet, plus l'air est chaud et humide, moins la transpiration produite par le corps humain pourra s'évaporer (évaporation = refroidissement) : la régulation de la température corporelle fonctionne de moins en moins. Dans une prochaine vidéo, nous évoquerons l’effet de foehn, autre phénomène lié à la montagne. Le vent de foehn est notamment responsable de puissants et rapides réchauffements de l’air, même en pleine nuit. Il s’agit probablement du meilleur exemple illustrant le pouvoir réchauffant du vent…